Il y a quelques semaines, AMD invitait à Barcelone de nombreux médias dans le cadre d’une table ronde, afin de partager sa vision de l’avenir de l’entreprise et de recueillir leurs commentaires.
Sur place, se trouvaient d’éminents dirigeants d’AMD, dont Phil Guido et Jack Huynh.
AMD change radicalement sa façon d’aborder la technologie, en mettant l’accent non plus sur le développement du matériel mais désormais sur les logiciels, les API et l’expérience de l’IA.
Le logiciel n’est plus seulement un complément au matériel, c’est le cœur des écosystèmes technologiques modernes. AMD se transforme, aligne enfin sa stratégie en conséquence.
Différences entre AMD et NVIDIA
La principale différence entre AMD et NVIDIA réside dans le fait qu’AMD est une société de matériel qui fabrique des logiciels en parallèle pour soutenir son matériel ; tandis que NVIDIA est une société de logiciels qui conçoit du matériel en parallèle pour accélérer ses logiciels.
Cette situation est sur le point de changer, car AMD se transforme, il a décidé d’accélérer sa transition vers les logiciels : la société estime qu’elle dispose désormais de l’ensemble du matériel informatique, des CPU aux accélérateurs d’intelligence artificielle, en passant par les GPU, les FPGA, le traitement des données et même l’architecture des serveurs.
AMD se transforme : présentation et révélation à Barcelone
Lors de cette conférence à Barcelone, nous pourrions imaginer l’habituel discours sur le fait que l’IA PC est la prochaine grande nouveauté et que tout le monde est sur le pont pour conquérir des parts de marché. Évidemment AMD a présenté un discours substantiel sur la façon dont les nouveaux processeurs Ryzen AI 300 series Strix Point sont à la pointe pour propulser l’entreprise avec les PC IA, mais a aussi développé de manière assez inattendue un aperçu de la façon dont l’entreprise se transforme en interne pour gagner en compétitivité dans ce nouveau monde, ce qui a conduit à une révélation étonnante de la part de l’entreprise.
AMD a « triplé son ingénierie logicielle et se consacre entièrement au logiciel ». Cela signifie non seulement qu’il faut recruter plus de personnel, mais aussi qu’il faut permettre aux gens de changer de rôle : « Nous avons déplacé certains de nos meilleurs éléments dans l’organisation pour soutenir ces équipes. Une fois cette transformation achevée, l’entreprise ressemblera davantage à ses contemporains du secteur, tels qu’Intel et NVIDIA« .
AMD a expliqué que dans le passé, elle était « silicium d’abord, puis nous avons pensé aux SDK, aux chaînes d’outils et ensuite aux ISV (sociétés de développement de logiciels) ». La société a poursuivi en disant : « Notre changement de stratégie consiste à parler d’abord aux ISV… pour comprendre ce que les développeurs veulent activer », ce qui constitue un changement fondamental dans la manière dont les nouveaux processeurs sont créés. Nous relèverons une citation intéressante : « L’ancien AMD se contentait de courir après les vitesses et les flux. Le nouvel AMD sera d’abord un logiciel d’IA, nous savons comment faire du silicium ».
AMD de l’ancien temps : Pourquoi la priorité au matériel n’est pas une bonne chose pour une entreprise de matériel informatique
L’approche matérielle d’AMD en matière de technologie a connu un succès limité sur le marché. Bien qu’elle dispose d’une microarchitecture de processeur au moins équivalente à celle d’Intel, l’entreprise occupe à peine un quart du marché (processeurs de serveur et de client confondus) ; et bien que ses GPU de jeu soient contemporains, elle ne détient qu’un sixième de ce marché. Ce n’est pas faute de performances : AMD fabrique des CPU et des GPU très puissants, capables de tenir ses concurrents en haleine. Le principal problème de la technologie d’AMD réside dans un engagement relativement faible avec l’écosystème des fournisseurs de logiciels afin d’exploiter au mieux les capacités exclusives et uniques du matériel par le biais de technologies logicielles de première partie (API, outils de développement, ressources, réseaux de développeurs et optimisation).
Par exemple, les GPU Radeon ont eu des capacités de tessellation proposant au moins deux générations d’avance sur NVIDIA, qui n’ont été exploitées par les développeurs qu’après que Microsoft les ai standardisées dans l’API DirectX 11, et il en a été de même avec Mantle et DirectX 12. Dans les deux cas, le facteur X dont bénéficie NVIDIA est une approche axée sur le logiciel, la manière dont elle s’engage avec les développeurs et, plus important encore, la base d’installation (plus de 75 % des parts de marché des GPU discrets). Il y a eu plusieurs exemples de processeurs AMD contenant des accélérateurs exotiques dans son architecture matérielle qui n’ont pas été correctement exploités par la communauté logicielle. Les raisons sont généralement les mêmes : AMD est une entreprise qui privilégie le matériel.
Le parallèle avec l’automobile
Pourquoi de nos jours l’action Tesla est-elle plus intéressante que celle de General Motors ? Parce que General Motors est un constructeur automobile qui utilise quelques technologies dans ses véhicules, alors que Tesla est une entreprise technologique qui a développé la construction de véhicules électriques autour d’un logiciel.
Les véhicules Tesla sont des appareils définis par ce logiciel propriétaire et ils peuvent vous transporter. L’approche l’entreprise en matière de transport a consisté à comprendre ce que les consommateurs veulent ou pourraient avoir besoin d’un point de vue technologique, puis à construire le matériel nécessaire pour y parvenir.
En fin de compte, vous connaissez Tesla pour ses voitures intelligentes, de la même manière que vous connaissez NVIDIA pour ses GPU qui « fonctionnent tout simplement » et comme Tesla, les revenus de NVIDIA sont en grande partie constitués de ventes de matériel, bien que l’entreprise soit axée sur le logiciel ou sur l’expérience. Un autre exemple est celui d’Apple, qui a construit un énorme écosystème de logiciels et de services conçus pour fonctionner parfaitement ensemble, mais qui enferme les gens dans son « jardin clos », permettant ainsi à l’entreprise de réaliser d’énormes profits.
Un avantage sur NVIDIA ?
Cela ne veut pas dire qu’AMD a totalement négligé les logiciels loin de là, mais la société a joué « les gentils garçons » en gardant une grande partie de sa base logicielle en open source, par le biais d’initiatives telles que GPUOpen et ROCm, qui sont d’excellentes ressources pour les développeurs de logiciels.
C’est juste qu’AMD n’a pas traité les logiciels comme son principal produit, la société en est consciente et souhaite « créer une architecture unifiée pour nos CPU et nos GPU RDNA, ce qui nous permettra de simplifier le logiciel ». Cela ressemble à une approche similaire à la OneAPI d’Intel, ce qui est tout à fait logique, mais ce sera un projet difficile. L’avantage pour NVIDIA est qu’elle ne dispose que d’un seul type d’accélérateur : le GPU, il exécute CUDA, une API unique que tous les développeurs peuvent apprendre, ce qui leur permet de résoudre une vaste gamme de défis informatiques sur du matériel allant de 200 à 30 000 dollars.
D’un autre côté, il s’agit également d’une faiblesse de NVIDIA et d’un avantage pour AMD. En effet, AMD dispose d’un riche portefeuille de solutions informatiques, allant des CPU et GPU classiques aux puces FPGA XDNA (grâce à l’acquisition de Xilinx). Il ne lui reste plus qu’à les réunir, en exposant une interface unifiée qui facilite le déplacement stratégique des charges de travail entre ces types de cœur, afin de maximiser les performances, les coûts, l’efficacité ou les deux. Une telle capacité permettrait à l’entreprise de vendre à ses clients un système d’accélération combiné à un seul produit, composé de composants tels qu’un CPU, un GPU et un ou plusieurs FPGA spécialisés, un peu comme lorsque vous achetez un iPhone et non un écran, un processeur, un modem 5G et une batterie pour les combiner par vous-même.
Pousser les développeurs de logiciels
Lors des sessions GTC (GPU Technology Conference) de NVIDIA, à peine 5 à 10 % du temps d’exposition est consacré au matériel (leurs derniers GPU AI ou accélérateurs), le reste du temps est consacré aux discussions portant sur les solutions logicielles de première partie, les problèmes à résoudre, les solutions, les APIs, les outils de développement, les outils de collaboration, les logiciels de système. C’est exactement ce qu’AMD s’est décidé a mettre en œuvre.
La société discute actuellement avec les principaux éditeurs de logiciels, tels que Microsoft, Adobe et OpenAI, afin de connaître leurs projets et leurs besoins pour la future génération de matériel. Les feuilles de route d’AMD indiquent désormais les projets de l’entreprise pour plusieurs années à venir, afin que ses partenaires puissent apprendre ce qu’AMD est en train de créer, et que les produits logiciels puissent mieux utiliser ces nouvelles fonctionnalités.
Études de marché sur fond d’IA
AMD a fait la présentation détaillée d’une étude de marché IDC, qu’il a chargé d’étudier l’avenir à court et à moyen terme des PC à intelligence artificielle et l’idée que les PC dotés d’une accélération native apporteront un changement drastique à l’informatique.
Cela s’est déjà produit par le passé, lorsque les briques qui nous servaient de téléphone sont devenues de véritables smartphones aujourd’hui indispensable dans notre quotidien, lorsque les réseaux sont devenus l’internet et lorsque les invites textuelles ont été remplacées par des interfaces graphiques. L’IA générative a déjà pris son marché et représente un rôle crucial dans la généralisation de cette nouvelle technologie, mais la mise en œuvre actuelle repose sur l’accélération basée sur le cloud. Le fait de tout exécuter dans le nuage entraîne une consommation d’énergie considérable et des GPU NVIDIA coûteux sont utilisés dans le processus. Les gens sont-ils prêts à acheter un tout nouvel appareil juste pour obtenir une partie de cette accélération sur leurs appareils pour la protection de la vie privée et la latence ? Cela reste à voir. Même avec 50 TOPS, les NPU d’AMD Strix et d’Intel Lunar Lake ne permettront pas exactement de générer des images, mais rendront viables les LLM basés sur du texte, tout comme certains effets audiovisuels tels que les remplacements d’arrière-plan de webcam Teams, la suppression du bruit et même la traduction en direct.
AMD est conscient des défis à relever, surtout après qu’Intel (Meteor Lake) et Microsoft (Copilot) nous ont abreuvés d’IA à tout bout de champ et qu’une grande partie de la base d’utilisateurs n’a pas vu les arguments convaincants.
La confidentialité et la sécurité sont dans le collimateur d’AMD, et vous devez « démontrer que vous augmentez réellement la productivité par charge de travail ». Si vous demandez aux gens de dépenser plus d’argent vous devez prouver que vous pouvez économiser des heures par semaine… cela pourrait valoir l’investissement, mais nécessitera une éducation massive des utilisateurs finaux ». L’objectif est également d’accorder une attention particulière à la « construction de design les plus innovants et les plus novateurs » pour les ordinateurs portables, afin que les gens se disent « wow, il y a quelque chose de nouveau ici ». Dans le domaine des ordinateurs portables en particulier, AMD suit de très près l’initiative Windows on Arm de Qualcomm et veut s’assurer de lancer un produit uniquement lorsqu’il est prêt et de s’attaquer à des prix inférieurs à 1 000 dollars.
Quel sera le point de départ d’AMD en 2024 ?
Quelle est la première étape du voyage d’AMD ? Il s’agit de s’assurer qu’elle est en mesure d’accroître sa part de marché à la fois du côté des clients avec les PC IA et du côté des centres de données, avec ses GPU IA. Pour les PC IA, l’entreprise estime qu’elle dispose d’un produit gagnant avec les processeurs mobiles Ryzen AI de la série 300 Strix Point, qu’elle pense être en bonne position pour monter en puissance jusqu’en 2024. Le fait que « Strix Point » soit basé sur une gravure TSMC 4nm relativement mature lui permet de garantir des volumes, et leur semble être un atout indéniable par rapport au Lunar Lake d’Intel et au prochain Arrow Lake qui devraient tous deux utiliser une gravure 3nm TSMC.
ASUS a déjà annoncé un événement médiatique à la mi-juillet au cours duquel elle prévoit de lancer des dizaines de PC IA, tous équipés de puces Ryzen AI 300 et répondant aux exigences de Microsoft Copilot+. Du côté des centres de données, l’accélérateur MI300X d’AMD reçoit de nombreuses demandes de sociétés équipés en solution GPU concurrente NVIDIA H100, et AMD prévoit de continuer à investir dans l’aspect logiciel de cette solution, afin d’obtenir des commandes importantes de la part des principaux fournisseurs d’informatique cloud pour l’IA.
Conclusion sur l’avenir proche
Les améliorations de l’écosystème logiciel prendront un certain temps, AMD envisageant un délai de trois à cinq ans, et pour y parvenir, a considérablement augmenté le nombre de ses ingénieurs logiciels. L’entreprise a également accéléré le développement de son matériel : « Nous allons lancer un nouveau produit Radeon tous les 12 mois », ce qui est une tâche difficile, mais qui permet de réagir plus rapidement aux changements sur les marchés des logiciels et à la demande.
En ce qui concerne les processeurs, la société dispose désormais de deux équipes chargées des processeurs, l’une s’occupant de la n+1 (prochaine génération) et l’autre de la n+2 (deux générations à venir), ce qui nous rappelle un peu la stratégie tick-tock d’Intel, qui était bien sûr davantage axée sur la fabrication de silicium.
Interrogée sur la loi de Moore et sa disparition, AMD a également indiqué qu’elle explorait l’IA dans la conception des puces pour aller au-delà des précédentes idées de chemin et que la guerre d’hier : plus de rastérisation, plus de ray tracing, plus de bande passante, des défis principalement matériels, se transformera à l’avenir en guerre logicielle. AMD pense même que l’éternel bras de fer entre CPU et GPU pourrait changer à l’avenir : « Nous ne pouvons pas considérer l’IA comme une case à cocher ou un gadget comme l’USB, l’IA pourrait devenir le héros. »
Ce qui est encourageant, c’est qu’AMD a fait le choix audacieux de mobiliser ses ressources pour recruter des talents dans le domaine des logiciels. L’avenir nous diras si ce choix a été réalisé suffisamment tôt ou si NVIDIA n’avait pas déjà senti le vent tourner il y a quelques années…
